© 2002, Patrick Dubreucq, Association des amis du Musée Fabre


Observateur attentif et respectueux, Alexandre Roubtzoff sut approcher la réalité du pays et de ses habitants, apportant vérité et sincérité à un orientalisme qui en avait souvent manqué. Chez lui, pas d'almées langoureuses ni de bains turcs imaginaires. A cet orient rêvé, il préfère opposer de vrais visages croisés au cours de ses nombreuses pérégrinations. Saisir l'intimité d'un être, d'un regard, d'un peuple, voilà bien ce qui préoccupa notre peintre au cours de sa vie et qui transparaît à maintes reprises dans son ouvre.

Le télescopage des images et des plans rappelle les compositions futuristes que le peintre avait pu déjà voir au début des années dix à Saint-Pétersbourg où ce courant fut très présent. La toile évoque également par l'importance laissée aux lettres typographiques (pages de journaux, publicité) les tableaux alogiques de son compatriote Kasimir Malevitch. Enfin, les collages surréalistes réunissant des figures sans véritable lien apparent ont pu être une autre source d'inspiration.

Cependant toutes ces références sont transcendées par un artiste libre de tout esprit de système. Ainsi, alors que le manifeste futuriste proclame qu'un cheval qui court n'a pas quatre pattes mais vingt et que leurs mouvements sont triangulaires, les jambes des élégantes de Roubtzoff sont nettes et définies. De même, les tickets de tramway et autres billets de banque figurés sur la toile sont de parfaites imitations peintes - préfigurant la démarche hyperréaliste des années soixante - et non de véritables fragments posés tels quels sur le support comme le pratiquent à la même époque les dadaïstes. Cette déclinaison originale des courants d'avant-garde situe définitivement Roubtzoff bien loin du groupe des simples épigones.

Mais le plus étonnant reste à venir. En 1927, à Montpellier, l'artiste exécute une ouvre des plus sibylline: un disque de signalisation pour chemin de fer vu en gros plan. L'affirmation de l'objet banal comme sujet unique de la toile annonce curieusement, avec plus de quarante ans d'avance, les recherches du Pop-Art. A peu près à la même époque (1921), Stuart Davis, considéré comme le grand précurseur de ce courant, ose peindre un paquet de Lucky Strike. Dans les deux cas, il s'agit de proposer un nouveau regard sur les choses, évoquer la modernité sans pour autant tomber dans l'abstraction. "Je me suis rendu compte que les choses même les plus banales recèlent une force particulière, pourvu que l'on sache sous quel angle les envisager". Cette esthétique du regard prônée par le photographe Joël Meyerowitz et que l'on retrouve déjà en germe dans la peinture d'Alexandre Roubtzoff. Ces accents novateurs appellent aujourd'hui à une redécouverte et surtout une relecture de l'ouvre.


Texte écrit par Patrick Dubreucq dans le N°61 de la revue "La Rencontre" éditée par l'Association des Amis du Musée Fabre.


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